mercredi 16 juillet 2014

De la démocratie à l'oligarchie

Le numéro de juillet/août d'Extra! de Fairness and Accuracy in Reporting (FAIR) rapporte les conclusions injustement méconnues d'une étude sur le système politique américain :
D'après une étude universitaire publiée dans Perspectives on Politics (automne 2014), la démocratie américaine est dans un état encore plus lamentable que ce que vous croyez. 
Sortie en avril et réalisée par Martin Gilens (Princeton) et Benjamin I. Page (Northwestern), cette étude analyse plus de 1700 lois votées durant les vingt dernières années, afin de déterminer comment l'opinion publique se traduit en terme de politique publique. Les deux politologues ont conclu que lorsque l'opinion de l'élite économique n'est pas la même que celle de la majorité de la population, l'opinion de cette dernière n'a « aucun impact estimé pour un changement de politique publique, tandis que les élites économiques ont un impact déterminant. »
En d'autres termes, les chercheurs n'ont pas trouvé la moindre preuve que l'opinion de la majorité de la population ait le moindre impact sur les politiques publiques - tandis que celle des riches est des plus évidentes. C'est ce qui s'appelle une oligarchie : la loi du plus riche. 
La question qu'il faut maintenant se poser est la suivante : cette situation est-elle foncièrement différente en France ?

Un exemple permet d'envisager la réponse :

En 2005, l'élite économique, politique et médiatique fait feu de tout bois pour soutenir le projet d'un Traité constitutionnel européen (TCE) instituant le libéralisme économique comme principe constitutionnel. Malgré l'intense propagande, ce projet est rejeté par référendum. 

On aurait pu croire le projet anéanti, mais c'était sans compter sur la formidable opiniâtreté de nos élites.

En 2007 est lancé le projet du Traité de Lisbonne. Voici la description qu'en fait Valéry Giscard d'Estaing, co-rédacteur et ardent défenseur du TCE :

« Les propositions institutionnelles du traité constitutionnel [...] se retrouvent intégralement dans le traité de Lisbonne, mais dans un ordre différent, et insérés dans les traités antérieurs. [...] Dans le traité de Lisbonne, rédigé exclusivement à partir du projet de traité constitutionnel, les outils sont exactement les mêmes. Seul l'ordre a été changé dans la boîte à outils. La boîte, elle-même, a été redécorée. »
- Valéry Giscard d'Estaing, « La boîte à outils du traité de Lisbonne », Le Monde, 26 octobre 2007.

Le Traité de Lisbonne, copie conforme du TCE rejeté moins de deux ans auparavant par les Français, n'est pas soumis au référendum, et est opportunément adopté par voie parlementaire (avec l'abstention complice des socialistes français).

Dans cette sombre histoire, un indice permettait de prendre conscience dès 2005 de l'abîme existant entre les élites politiques et le peuple dans son ensemble. Réuni en Congrès à Versailles - tout un symbole - quelques semaines avant que les Français ne se prononcent largement contre, les députés et sénateurs français votaient à 90 % pour le TCE.

Jérémie Fabre

Sources utilisées :

• Steve Rendall et Janine Jackson, « Study Confirms Our Wealth-Controlled Politics », Extra!, vol. 27, n°7, juillet/août 2014.

• Martin Gilens et Benjamin I. Page, « Testing Theories of American Politics: Elites, Interest Groups, and Average Citizens », Perspectives on Politics (automne 2014). L'étude (en anglais) est disponible en libre accès et en PDF à cette adresse.

• Henri Maler et Antoine Schwartz, Médias en campagne. Retours sur le référendum de 2005, Editions Syllepses, 2005.

• « Europe : droit d'inventaire », Manière de voir, n°129, juin/juillet 2013.

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