lundi 22 septembre 2014

L'Egypte entre de bonnes mains

Le 20 septembre, l'agence de presse Reuteurs annonce la livraison par les Etats-Unis de dix hélicoptères Apache au gouvernement égyptien, afin de l'aider « dans sa lutte contre le terrorisme ». Cette nouvelle officialise le retour de l'Egypte dans les bonnes grâces de l'appareil diplomatique américain. Afin de bien comprendre les implications d'une telle information, un retour en arrière s'impose.

Du « Printemps arabe »...

En février 2011, à l'apogée égyptien des révoltes qui parcourent le monde arabe, le président Hosni Moubarak, au pouvoir depuis près de 30 ans, est lâché par l'armée. Cette dernière comprend que la situation n'est pas tenable, et qu'elle doit faire des concessions. Un gouvernement de transition est mis en place avant que des élections soient organisées. Ces élections sont gagnées par Mohamed Morsi, représentant des islamistes modérés des Frères musulmans, courant politique majeur en Egypte et qui bénéficie d'une aura de résistance face au pouvoir de Moubarak.

En juin 2013, le président Mohamed Morsi, premier président élu démocratiquement de toute l'histoire de l'Egypte, fait face à de gigantesques manifestations populaires. Une partie importante du peuple égyptien dénonce son incompétence sur le plan économique, et sa volonté supposée de « frériser » l'appareil d'Etat égyptien.

Si cette première accusation se tient, la seconde relève de la fiction, tant « l'Etat profond » égyptien reste tenu d'une main de fer par l'armée. Cette dernière, contrôlant encore de larges pans de l'économie égyptienne, a discrètement contribué à la multiplication des pénuries et des carences sécuritaires ; contribuant insidieusement à la dégradation de la légitimité de l'action du président Morsi.

... à l'hiver militaire

Le 3 juillet, capitalisant sur l'image désastreuse de Mohamed Morsi et des Frères musulmans, l'armée organise un coup d'Etat et reprend fermement le pouvoir qu'elle avait temporairement desserré. Mohamed Morsi est emprisonné en attente de jugement et un président par intérim docile est nommé. Les Frères musulmans et leurs partisans lancent alors des manifestations pacifiques. Ces dernières sont réprimées dans le sang, portant rapidement le bilan à plus de 800 civiles abattus (soit « l’un des plus importants massacres de manifestants de l’histoire récente », d'après Human Rights Watch). Le gouvernement égyptien ajoute alors la confrérie à la liste des entreprises terroristes, justifiant alors une répression sans limite ; le tout sous les commentaires enjoués des médias et de la plupart des intellectuels égyptiens.

Cette période voit la montée en puissance d'Abdel Fattah al-Sissi, ministre de la Défense et homme fort de l'armée. Les Etats-Unis, ne pouvant légalement aider un gouvernement directement issu d'un coup d'Etat militaire, suspendent leur aide financière au pays. Des élections sont alors engagées afin de donner un semblant de légalité au nouveau régime ; élections auxquelles se présente Al-Sissi malgré ses promesses.

Outre le contexte de répression meurtrière contre les Frères musulmans (et leur boycott logique), ce scrutin s'est révélé être une vaste escroquerie. En effet, suite au manque d'affluence le premier jour de l'élection, un certain nombre de mesures ont été prises par le pouvoir :

- faire du second jour de l'élection un jour férié ;
- fermer un certain nombre de grands centres commerciaux du pays ;
- demander au secteur privé de laisser les employés aller voter ;
- annoncer que ceux qui ne voteraient pas devraient payer 500 livres égyptiennes d’amende et seraient passibles de poursuites ;
- prononcer la gratuité des transports ;
- prolonger le scrutin d'une journée, en contradiction avec l’article 10 de la loi sur l’élection présidentielle, qui demande la publication à l’avance d’une telle décision au journal officiel.

Malgré ces mesures illégales et grotesques relevées par Alain Gresh, le taux de participation reste inférieur à 50 %. De plus, le total des bulletins blancs ou nuls se sont révélés plus nombreux que ceux en faveur de Hamdine Sabahi, seul autre candidat autorisé, ce qui témoigne de sa crédibilité. Pire encore pour al-Sissi, la participation reste plus faible que pour le second tour de l'élection présidentielle de 2012 qui avait porté au pouvoir Mohamed Morsi ! Abdel Fattah al-Sissi est donc élu avec 96,91 % des voix, soit plus que Bachar el-Assad en Syrie, et ses ridicules 88,7 %...

Autant dire que ce simulacre d'élection ne fait pas de l'Egypte un Etat démocratique, et que son gouvernement reste issu d'un coup d'Etat militaire.

Parfait petit soldat

Depuis, l'Egypte se comporte comme le parfait petit soldat des Etats-Unis et d'Israël ; en témoigne son rôle dans les bombardements meurtriers de l'armées israélienne à Gaza pendant l'été 2014, et sa « sale guerre » dans le Sinaï.

C'est donc à cette dictature meurtrière que les Etats-Unis ont l'intention de fournir des hélicoptères Apache. La « lutte contre le terrorisme », si elle désigne de toute évidence la répression contre toute contestation du régime, peut aussi — comme c'est pratique ! — désigner les dangereux djihadistes de l'Etat islamique. En effet, dans un communiqué, l’attaché de presse du Pentagone John Kirby a expliqué que l'EI a fait partie des sujets de discussion relatifs à la livraison des hélicoptères de combat. L'excuse serait parfaite, si les Etats-Unis n'avaient pas une responsabilité directe dans la naissance et la propagation rapide de cette nébuleuse d'Al-Qaïda, dont on ne retrouve pas la moindre trace avant l'invasion illégale de l'Irak en 2003.

Comme le relève depuis des années Claude Angeli pour Le Canard enchaîné, l'Etat islamique a en outre largement bénéficié de la générosité des dictatures wahhabites du Golfe, grandes amies des Etats-Unis et de « l'Axe du bien », Arabie saoudite en tête. Arabie saoudite qui, au lendemain du coup d'Etat militaire scellant la fin de l'expérience démocratique de l'Egypte (terrifiante aux yeux de la monarchie des al-Saoud), s'est empressée d'offrir 12 milliards de dollars à l'armée égyptienne, afin de l'aider à remettre le pays sur le droit chemin.

L'Egypte est décidément entre de bonnes mains.

Jérémie Fabre

Sources utilisées :

• « U.S. to deliver 10 Apache helicopters to Egypt - Pentagon », Reuteurs, 20 septembre 2014.

• L’Egypte en mouvement, Manière de voir, n° 135, juin-juillet 2014.

• Alain Gresh, « Egypte, le premier échec du "maréchal" Sissi », Nouvelles d'Orient, Les blogs du Diplo, 29 mai 2014.

• Marion Guénard, « En Egypte, on ne badine pas avec l'image du candidat Sissi », Le Monde, 2 avril 2014.

• Marion Guénard, « En Egypte, l'élection programmée du maréchal Sissi sur fond de répression », Le Monde, 26 mai 2014.

• Ismaïl Alexandrani, « Au Sinaï, une « sale guerre » qui ne dit pas son nom », Le Monde diplomatique, septembre 2014.

• Claude Angeli, Le Canard enchaîné, depuis le 28 mars 2012, 

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