jeudi 28 août 2014

Débat sur le GMT : imprécisions, mauvaise foi et mensonges de ses défenseurs

En juin dernier, j'ai pu assister à un débat organisé à Paris par la Direction de l'information légale et administrative (DILA) et le site Touteleurope.eu sur le thème « Traité de libre-échange transatlantique, menace ou opportunité pour l’Union européenne ? ». Passons volontairement sur la réduction des enjeux à une possible lutte entre les Etats-Unis et l'Union européenne (UE) ; ainsi que sur l'assimilation discutable de l'intérêt des peuples européens et celui de l'UE. Le débat opposait l'eurodéputée Europe Ecologie Les Verts Karima Delli (opposée au traité), le chercheur passé par la Banque mondiale et professeur à Science Po Patrick Messerlin (pour le traité), et le fonctionnaire de la « Directorate General for Trade » de la Commission européenne - et ex-collaborateur de Pascal Lamy - Edouard Bourcieu (pour le traité) ; le tout sous la modération de Maxime Vaudano, journaliste au Monde.

Etant venu seul et en avance, j'ai eu tout le loisir d'écouter les conversations de la population de quarantenaires masculins, blancs, en costume et les cheveux courts ; manifestement tous pour ce projet de Grand marché transatlantique (GMT). Si ces observations relèvent de l'anecdote, les ricanements systématiques accompagnant chaque prise de parole de Karima Delli n'ont clairement pas élevé le niveau du débat. J'ai tout de même pu relever quelques perles en provenance des deux pro-GMT du débat. Entre imprécision, mauvaise foi et mensonges éhontés, je vous présente Patrick Messerlin et Edouard Bourcieu dans toute leur gloire :


Patrick Messerlin

« Toute idée de faire du TTIP une sorte d'OTAN économique d'abord contre la Chine, maintenant contre la Russie, c'est catastrophique. Les affaires commerciales ne sont pas les affaires géostratégiques, il faut vraiment faire la différence. (...) Nous ne devons pas suivre la partie des Américains qui transforment le TTIP en un traité stratégique. »

Raté ! La partie des Américains visée par Patrick Messerlin est loin d'être la seule à voir dans le TTIP (ou GMT) un traité des plus stratégiques. C'est d'ailleurs exactement le sujet de la carte publiée dans un article précédent, dont sont extraites les citations suivantes :

« On voit monter ces émergents qui constituent un danger pour la civilisation européenne. Et nous, notre seule réponse serait de nous diviser ? C’est une folie. »
- François Fillon, RTL, 14 mai 2014.

Le GMT pourrait permettre aux alliés atlantiques de « se mettre d’accord sur des normes communes pour les imposer ensuite aux Chinois. »
- Alain Lamassoure, France Inter, 15 mai 2014.

« Je préférerais qu’on célèbre la signature du GMT avec du champagne ou du porto plutôt que son  échec avec de la vodka. »
- João Vale de Almeida, ambassadeur de l’Union européenne aux Etats-Unis, cité dans Renaud  Lambert, « Thé, petits gâteaux et idées lumineuses au palace Shangri-La », Le Monde diplomatique, juin 2014.

« Il s’agit de l’accord le plus stratégique dont nous disposions de part et d’autre de l’Atlantique. Un accord bien plus important que celui donnant naissance à l’OTAN. »
- Daniel Hamilton, directeur du Center for Transatlantic Relations, ibid.

« Toute réglementation sur laquelle s’entendent les Etats-Unis et l’Union européenne aura une influence sur le reste du monde, c’est certain. (…) Si nous appliquions les normes américaines sur le travail aujourd’hui, cela serait considéré comme de l’esclavage par la loi brésilienne. »
- Marcelo Odebrecht, patron brésilien, ibid.

Tout un article de Serge Halimi a d'ailleurs été consacré aux conséquences géostratégiques du GMT dans le Monde diplomatique de juin.


« Ensuite, les tribunaux arbitraux. Ah vraiment... C'est du délire ! Ils n'existent pas pour l'instant. »

L'erreur est absolument grossière, tant les exemples révoltants abondent. Benoit Bréville et Martine Bulard du Monde diplomatique y ont consacré un article très riche. Parmi les dizaines de procès intentés (et bien souvent gagnés) par des entreprises privées contre la législation d'Etats souverains, on retiendra notamment le cas de l'entreprise française Veolia, « en guerre contre l’une des seules victoires du "printemps" 2011 remportées par les Egyptiens : l’augmentation du salaire minimum de 400 à 700 livres par mois (de 41 à 72 euros). Une somme jugée inacceptable par la multinationale, qui a porté plainte contre l’Egypte, le 25 juin 2012, devant le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (Cirdi), une officine de la Banque mondiale. » Tiens, tiens, la Banque mondiale ; comme on se retrouve, M. Messerlin !

Histoire d'en rajouter une couche, voici une carte d'Agnès Stienne pour le Diplo (ce journal est une mine), qui montre l'ampleur du phénomène inexistant « pour l'instant » pour notre expert de la Banque mondiale, pourtant première concernée. Les peuples argentin (visé par 53 plaintes), vénézuélien (36), tchèque (27), egyptien (23), indien (14) ou même américains (15) seront, à n'en pas douter, ravis de l'apprendre.



Edouard Bourcieu

« C'est probablement la négociation la plus transparente à l'échelle mondiale. »

C'est sans doute pour cette raison que des centaines de partis politiques et d'associations de citoyens européens et américains sont vent debout contre l'absence de transparence dans les négociations. C'est sans aucun doute pour cette raison que M. Ignacio Garcia Bercero, négociateur en chef de l’Union européenne, a promis l'exact contraire à son homologue américain Daniel Mullaney, dans un courrier daté du 5 juillet 2013 : « Tous les documents concernant le développement du GMT, y compris les textes des négociations, les propositions faites des deux côtés, le matériel explicatif joint, les courriels et les autres informations échangés (...), demeureront confidentiels. »

Edouard Bourcieu fait sans doute allusion à la transparence des négociations dont bénéficient les grandes entreprises privées, comme le révèle Martin Pigeon dans le même numéro décidément collector du Diplo : « La préférence de la commission pour les représentants d’intérêts commerciaux s’est manifestée dès les phases préparatoires du projet. Un document interne montre que, sur cent trente réunions organisées par la direction générale du commerce pour préparer les négociations, cent dix-neuf visaient à recueillir les préférences des grandes entreprises et de leurs représentants. »

Des négociation transparentes ? Certes, mais pas pour tout le monde.

« Le modèle qui a été utilisé pour chiffrer l'impact économique du TTIP, a été utilisé non pas par la Commission européenne, mais par le un centre de recherche indépendant »

Le meilleur pour la fin ! Il s'agit ici d'un pur mensonge. Tout simplement. Le modèle économique dont il est question est celui réalisé par le Centre for Economic Policy Research, disponible à cette adresse, qui eut en son temps le bon goût de conclure que le GMT pourrait « accroître de plusieurs millions le nombre d’emplois liés au secteur des exportations dans l’Union européenne ». Du moins avant qu'un rapport commandité par le groupe confédéral de la Gauche unitaire européenne - Gauche verte nordique (GUE-NGL) ne ridiculise ces prévisions.

Entre temps, et contrairement à ce qu'affirme Edouard Bourcieu, la Commission européenne et ses divers représentants ont colporté partout ces conclusions erronées (mais tellement pratiques), notamment dans des communiqués de la Commission européenne, les 12 mars et 14 juin, 4 novembre et 20 décembre 2013 ; dans un communiqué du président de la Commission José Manuel Barroso le 14 juin 2013 ; dans un entretien de M. Karel De Gucht (Commissaire au commerce à la Commission européenne) à la Fondation Robert-Schuman le 9 septembre 2013, ou encore dans un discours de M. De Gucht, 28 janvier 2014.

Soit une sacrée propagande publicité pour une étude (erronée) soit disant jamais citée publiquement par la Commission.

Conclusion

Seules deux personnes au sein du public ont pu intervenir à la fin du débat. Que cela soit la faute des organisateurs ou de la longue, très longue plainte du riche avocat spécialisé dans les procès contre les Etats souverains, outré que la langue de Karima Delli ait fourché durant le débat (confondant « tribunal arbitral » et « tribunal arbitraire ») ; la caméra présente ne m'aura pas immortalisé prouvant que MM. Bourcieu et Messerlin sont des menteurs. A charge de revanche.

En attendant, contentons nous de la déconfiture de ce brave Karel De Gucht interrogé par l'eurodéputé EELV Yannick Jadot sur ces désormais cultes prévisions économiques miraculeuses du GMT : « On ne peut pas chiffrer ça à quelques euros près. Moi, je ne le fais pas. (...) Vous savez, il y a une étude qui dit que chaque ménage va en retirer 545 euros par année. Moi, je ne sais pas comment on peut arriver à ces chiffres. (...) Donc je ne les cite que très rarement. »

Jérémie Fabre

Sources utilisées :

• « Dossier : Grand marché transatlantique », Le Monde diplomatique, juin 2014.

• Centre for Economic Policy Research, « Transatlantic Trade and Investment Partnership. The economic analysis explained », Commission européenne, Bruxelles, septembre 2013.

• Yannick Jadot, « TTIP: la Commission européenne ne croit pas à ses propres mensonges! », Le blog de Yannick Jadot, Mediapart.fr, 13 mai 2014.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire