vendredi 19 décembre 2014

La leçon de journalisme d'Atlantico.fr et de Benoît Rayski

Le 18 décembre, le site Atlantico.fr publie un article de l'essayiste Benoît Rayski, sobrement intitulé « Attaque à la voiture-bélier contre une école de Corbeil-­Essonnes : les apprentis talibans sont parmi nous ».

Une iconographie tout en nuance

La thèse de l'article, consiste à lier deux événements à priori totalement différents :

  • Les nuits des 5 octobre, 20 octobre et 16 décembre dernier, plusieurs écoles de Corbeil-Essonnes (91) subissent une attaque à la voiture-bélier. L'une des écoles, qui venait d'être inaugurée, a été fortement endommagée. Fort heureusement, ni morts, ni blessés ne sont à déplorer.
  • Le 16 décembre, un groupe de talibans armés attaquent une école de Peshawar dans le nord du Pakistan. Là, selon les estimations actuelles, 141 personnes sont assassinées, dont 132 enfants.

Le lien entre les deux affaires ne vous semble-t-il pas évident ? A moi non plus.

« Aucun rapport ? Pas sûr »

Pour Benoît Rayski, cependant, le rapport entre la tuerie pakistanaise et les voitures brûlées de Corbeil-Essonnes est évident : c'est l'islam !

On apprend en effet que pour les « petits et médiocres talibans » de Corbeil-Essonnes, « la voiture-bélier peut aussi servir pour des raisons qui ne sont pas crapuleuses et s’inscrire dans un combat d’idées [...]. Les intentions des conducteurs de ces véhicules étaient pures de tout esprit de lucre. [...] Pour certains en effet l’école représente le savoir, l’Etat (hélas laïc) et une autorité détestée et détestable. [...] A des milliers de kilomètres de là, à Peshawar au Pakistan, des talibans, animés par les mêmes pulsions, ont attaqué une école exécutant d’une balle dans la tête 132 enfants qui s’y trouvaient » (c'est moi qui souligne).

Si l'on suit correctement la logique de l'auteur, l'islam ayant le monopole de la violence (et tout particulièrement de la voiture-bélier), toute violence est due à l'islam. Et ce d'autant plus si ces violences sont commises dans des « "quartiers sensibles" », forcément synonymes... d'islam.

L'affaire semble entendue. A quelques détails déontologiques près, cependant.


Cette accusation souffre en effet de plusieurs problèmes :
  • Aucune revendication officielle n'a été formulée par les auteurs des attaques. Encore moins de revendication à portée religieuse islamiste.
  • Aucun des auteurs des attaques n'a pour l'heure été arrêté.
Sur quoi se base donc Benoît Rayski pour parler de « talibans » à Corbeil-Essonnes ? Quelles sont les preuves et les témoignages de première main qu'a collecté ce grand reporter directement sur le terrain, à Corbeil-Essonnes ; et qu'il cache à la police ?

Notre Albert Londres méconnu fait en outre totalement abstraction de l'important faisceau d'indices et de témoignages allant dans le sens d'un règlement de compte purement financier et crapuleux entre d'anciens relais du « système Dassault » (un système présumé de corruption électorale qui court à Corbeil-Essonnes depuis 1995), et la municipalité UMP. Cette thèse est pourtant abondamment relayée dans la presse...

Une presse que l'auteur se permet de brocarder en proposant de l'envoyer « aux talibans pakistanais et afghans, aux djihadistes irakiens et syriens, aux "shehab" somaliens », et mêmes aux combattants de la secte islamiste nord-nigériane – mal orthographiée – « Boko Aram »...

Sophia Aram, djihadiste présumée

Peut-être ne faut-il pas trop en demander à Benoît Rayski, auteur de L'homme que vous aimez haïr, « qui dénonce l' "anti-sarkozysme primaire" ambiant ». Serge Dassault, quoi qu'il en dise lui-même dans les multiples vidéos prises en caméra cachée où il évoque les millions d'euros en cash fournis à ses hommes de confiance, n'est sans doute qu'une innocente victime des « talibans » de Corbeil-Essonnes.

Que Benoît Rayski, ouvertement « islamophobe », se déclare essayiste, c'est son droit. En revanche, qu'il se déclare journaliste sans répondre aux exigences les plus élémentaires du métier, des concepts aussi surannés que la véracité des faits ou encore le croisement des sources, pose un sérieux problème de déontologie.

Ce constat est d'autant plus ennuyeux lorsqu'on compare le travail remarquablement bâclé de Benoît Rayski à la profession de foi enjouée d'Atlantico.fr.

Il y est en effet question dès la première phrase d'une ligne éditoriale particulièrement ambitieuse : « Raconter le monde tel qu’il est, pas tel qu’on voudrait qu’il soit ». Il s'agit en fait d'un véritable festival, puisqu'on nous promet du « raisonnement checking »  des « experts, des chiffres, des découvertes », les « interlocuteurs les plus légitimes » et même un véritable « radar à intelligence ». Bref, « Un traitement éditorial garanti 0% grille idéologique préétablie, 0% leçons de morale. »

Des vœux pieux difficilement compatibles avec les méthodes étonnantes de Benoît Rayski, au traitement éditorial garanti 0 % déontologie.

« L'info » en avait bien besoin...

1 commentaire:

  1. J'aime beaucoup ton humour Jérémie, et ta façon profonde, en toute humble légèreté, de nous exposer les faits.
    Le combat continue pour que vérités soient dites.
    Bravo.

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