lundi 31 mars 2014

Valls creuse sa tombe à Matignon, sous les applaudissements

La nouvelle vient de tomber : Manuel Valls, ministre de l'Intérieur socialiste, est nommé Premier ministre par François Hollande. Quels enseignements peut-on en tirer, à chaud ?

Le moins que l'on puisse dire, c'est cette promotion du camarade Valls était attendu par l'immense majorité de la presse française, comme le montre cette analyse détaillée de Thibault Roques pour Acrimed. Entre interprétation à sens unique de sondages à double tranchant et surexposition médiatique (aussi bien quantitativement que qualitativement), rien d'étonnant à voir apparaître le phénomène bien connu de la prédiction auto-réalisatrice.

Plus dure sera la chute

Il est de notoriété publique (du moins pour les lecteurs réguliers du Canard enchaîné) que la relation entre François Hollande et Manuel Valls est tendue. Le président de la République reproche en effet à ce dernier son individualisme et son omniprésence médiatique, qui perturbent fortement sa stratégie de communication (qui n'a pourtant pas besoin de cela...) A cela s'ajoute ses manœuvres pour déstabiliser Jean-Marc Ayrault, Premier ministre et ami personnel de longue date du président.

Avec la dégelée municipale du 23 et du 30 mars pour le Parti socialiste (PS), et une contestation qui atteint des niveaux impressionnants, François Hollande était obligé de remanier et de changer de Premier ministre. En passant, cette haute main présidentielle sur le destin des Premier ministres successifs, si elle est totalement inconstitutionnelle, est historiquement la norme.

Après avoir manifestement proposé le poste à un autre ami de longue date, François Hollande s'est donc résigné à nommer Manuel Valls.
Mon pronostic ? François Hollande a décidé de se débarrasser d'un ministre aussi encombrant que potentiellement dangereux en vue des échéances présidentielles de 2017 (le précédent Nicolas Sarkozy saute en effet aux yeux). En le nommant au poste de Premier ministre, le président entend faire endosser à Manuel Valls la responsabilité de l'échec annoncé des élections européennes de mai 2014. Si le PS se retrouve distancé par l'UMP et le FN (si ce n'est pire, il est permis de rêver), François Hollande aura alors l'occasion de se débarrasser définitivement d'un Manuel Valls discrédité. Sa popularité étant une pure construction médiatique (qui saurait citer ne serait-ce qu'une loi d'importance menée par Manuel Valls ?), un tel échec signerait dès lors son arrêt de mort politique.

Tout changer pour que rien ne change

Nommer Manuel Valls Premier ministre ne remet nullement en cause l'orientation "sociale-démocrate" que François Hollande entend donner à son quinquennat, et la priorité donnée au déjà culte "pacte de responsabilité".

On peut opposer à ce pronostic qu'il est possible que Manuel Valls limite la casse aux élections européennes, voir qu'il est possible qu'il fasse retrouver à la France le chemin de la prospérité. Ce à quoi j'opposerai qu'un tel résultat est plus qu'improbable.

En effet, comme le montre bien l'économiste Frédéric Lordon sur son blog, le "pacte de responsabilité" postule qu'il faut aider les entreprises pour qu'elles "créent de l'emploi". Or les entreprises ne créent pas les emplois, mais convertissent une conjoncture économique favorable en emplois. A quoi bon, dans une conjoncture économique mondiale déprimée, offrir aux entreprises un allègement de cotisations sociales de trente milliards d’euros si leurs carnets de commandes ne se remplissent pas ? L'échec est inévitable, à moins d'un improbable rebond de l'économie européenne et mondiale.

Or la conjoncture économique, elle, se laisse piloter, dans une certaine mesure. Du moins tant que le gouvernement élu a la volonté d'agir, ce qui n'est plus le cas depuis le "tournant de la rigueur" de 1983, et l'abandon de toute politique volontariste de gauche, au nom d'une Union européenne (UE) ordolibérale et d'une capitulation devant les dogmes allemands. Une analyse encore une fois brillamment portée par Frédéric Lordon.

Heureusement que nos chers médias, dans leur miraculeuse diversité et leur sérieux indiscutable, se déchaînent contre ce pacte, aussi odieux qu'inefficace. Ainsi, comme le rapporte Frédéric Lemaire pour Acrimed, si Le Figaro prescrit de ne rien changer à l'orientation dudit pacte, l'aile gauche des médias français, représentée par Le Monde, Le Nouvel Observateur, et Libération, préconise... de ne rien changer non plus !

Comment le remarque si bien Frédéric Lemaire, « un tel pluralisme éditorial, qui parcourt toutes les nuances du beige au blanc, est éblouissant. Au point de se demander si la fusion de tous les titres de la presse écrite ne serait pas le remède ultime à la crise qu’elle traverse ? »

Jérémie Fabre

Sources utilisées :

• Thibault Roques, « Valls médiatique », Acrimed, 18 novembre 2013.

• « La Mare aux canards », Le Canard enchaîné.

• Serge Halimi, « Le temps des jacqueries », Le Monde diplomatique, janvier 2014.

• Périco Légasse, « Elysée-Matignon: le coup d'Etat permanent », Marianne, 30 mars 2014.

• Sylvaine Salliou, « Remaniement: Le Drian aurait refusé Matignon », France 3, 31 mars 2014.

• Frédéric Lordon, « Les entreprises ne créent pas l’emploi », La pompe à phynance, Les blogs du diplo, 26 février 2014.

• Frédéric Lordon, « Pourquoi il faut sortir de l'euro », propos recueillis par Hervé Nathan, Marianne, 29 mars 2014.

• Frédéric Lemaire, « Éditocratie post-électorale : plusieurs têtes pour une seule voix », Acrimed, 1er avril 2014.

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